Une déclaration du Burkina Faso

Ces derniers jours, de plus en plus d’images et de rapports de protestations et de troubles au Burkina Faso sont parvenus dans le paysage médiatique allemand. La situation politique du Burkina Faso est très complexe, mais ces images ne sont souvent pas replacées dans leur contexte. L’un des leitmotivs du Village Opéra est de donner une image nouvelle et différenciée de l’Afrique. C’est pourquoi il est particulièrement important pour nous de donner une voix au peuple burkinabé.

Nous avons le plus profond respect pour la manière dont notre équipe gère les événements actuels dans le pays, pour la manière dont nos collaborateurs* continuent et ont ouvert la nouvelle année scolaire lundi. En particulier maintenant, ils restent optimistes et croient en la force du peuple burkinabé. Il est d’autant plus important que nous soyons solidaires et que nous continuions à soutenir le pays des Hommes d’Honneur. En partageant leur opinion:

30 octobre 2014, l’assemblée nationale du Burkina Faso est envahie par des manifestants pour barrer la voie à la modification de l’article 37. Si cet article était modifié, Blaise Compaoré au pouvoir depuis 27 ans pouvait se représenter aux élections en 2015. Les manifestations ont eu raison du pouvoir de Blaise Compaoré : il quitte Ouagadougou, exfiltré par la France avec pour destination la Côte d’Ivoire où il vit encore.

Depuis ce départ fracassant, le Burkina Faso n’a plus connait une réelle paix, à part la période de la transition sous Michel Kafando, qui a aussi connu un coup d’Etat manqué du Général Diendéré. Le 29 Décembre 2015, Rock Marc Christian Kaboré est investi président et dès le 15 janvier 2016, des terroristes attaquent pour la première fois le Burkina Faso en ciblant un café « Le capuccino » et l’hôtel Splendide. 

Depuis cette date, le pays subit régulièrement des attaques avec des morts à la solde. En novembre 2021, des organisations de la société civile manifestent leur ras-le bol avec des marches. Le 24 janvier 2022, des militaires renversent le pouvoir de Rock, jugé incapable de juguler la crise sécuritaire. Leur leader Paul Sandaogo Damiba prend la tête du Mouvement Patriotique pour la Sauvegarde et la Restauration (MPSR) et se proclame président.  Huit mois après la prise du pouvoir par la junte, les terroristes continuent de semer la terreur. Les populations à Djibo crient famine. Le 26 septembre 2022, un convoi de plusieurs camions chargés de vivres en direction de Djibo est attaqué au niveau de Gaskindé. Le bilan est lourd. 27 soldats sont tués selon un dernier bilan fait ce mardi 04 octobre par l’armée. Aux lendemains de l’attaque, on parlait de 11 militaires tués. Cette attaque est de trop : des manifestants dans la rue demandent la démission du président Damiba et la coopération avec la Russie pour en finir avec le terrorisme.

Bref ce rappel historique m’est nécessaire pour décrire le sentiment anti-français grandissant au Burkina Faso. Beaucoup de burkinabè diront qu’ils ne sont pas contre les français, mais ils sont contre la politique de la France en Afrique. C’est un sentiment de plus en plus partagé dans la sous-région notamment au Mali qui a déjà exigé le départ de la France de son vaste territoire. Comment la France avec toute sa logistique « de dernière génération » n’est pas en mesure d’aider l’armée burkinabè à débusquer les terroristes et à les neutraliser ? C’est une interrogation qui taraude l’esprit de plus d’un Burkinabè. Dans ce cas, qu’elle parte et que la Russie qui collabore déjà avec le Mali, soutienne les efforts de l’armée burkinabè pour venir à bout de l’hydre terroriste. On a vu aucun résultat probant avec la création du G5 Sahel. Le G5 Sahel regroupe la Mauritanie, le Mali, le Niger, le Tchad, le Burkina Faso. Mais on dit bien le « G5 Sahel », que vient faire la France dans le G5 Sahel ? Fait-elle du business comme le pensent certains ? En tout cas, on parle de moins en moins du G5 Sahel depuis que le Mali lui a claqué les portes. Vivre en Afrique de l’Ouest et suivre l’actualité des pays colonisés par la France, le sentiment que la colonisation a juste changé de visage est réel. En effet, après la mort d’Idriss Debi Itno,  Mahamet Deby, fils d’Idriss Deby est choisi pour diriger le conseil militaire de transition au Tchad avec la « bénédiction » de la France.  Le président français Emmanuel Macron assiste d’ailleurs à l’investiture de ce dernier. Si c’était sous d’autres cieux, la France aurait crié au coup d’Etat constitutionnel et à une entorse à la démocratie. Ainsi s’instaure un régime monarchique au Tchad sous le regard complice de la France. Peut-être que le fils son affaire.

En 2011, la France participe en Côte d’Ivoire à l’éviction forcée de Laurent Gbagbo. Les pro- Ouattara, appuyés par l’Onuci et la force française Licorne arrêtent Laurent Gbagbo qui jusque-là réclamait la victoire aux élections présidentielles.  La suite, on le connaît. Il a été envoyé à la Haye pour des crimes qu’il n’a pas certainement commis seul. On disait de Laurent Gbagbo qu’il était nationaliste. Plusieurs entreprises auraient été nationalisés sous son règne. Mais quand on sait les intérêts économiques de la France en Côte d’Ivoire, on pourrait se demander si la France a intérêt qu’un nationaliste prenne le pouvoir dans ce pays ?

Revenons au Burkina Faso. Selon les rumeurs, Paul Henri Sandaogo Damiba ne dormait pas à la présidence. Il aurait plutôt élu domicile au camp militaire français à Kamboinsi. Il était gardé par les français comme l’affirme plus d’un. Comment peut-on s’opposer à celui qui assure ta sécurité si c’est vrai ? Blaise Compaoré qui a été exfiltré par la France en 2014, est invité par Damiba pour participer à un processus de réconciliation nationale. Et pourtant, il a été condamné à une peine de prison à vie par la justice burkinabè. Blaise est venu et est reparti en Côte d’Ivoire sans être inquiété grâce à Damiba.

La France veut-elle vraiment couper le cordon ombilical avec ses anciennes colonies ? Si non, pourquoi ? Pourquoi la France ne stoppe pas son immixtion dans les affaires politiques de ses anciennes colonies comme l’Angleterre ? Est-ce que, comme l’a dit Charles De Gaulles, « La France n’a pas d’amis, elle a des intérêts », le Sahel intéresse beaucoup la France ? Si oui, que veut la France dans le Sahel pour refuser de le quitter ? Voici autant de questions que j’entends çà et là et qui me font réfléchir. Même en France, des voix s’élèvent aussi pour critiquer sa conduite dans ses ex-colonies.  Et le FCFA dans tout ça ? Beaucoup de gens ne comprennent pas pourquoi l’argent des anciennes colonies françaises continuent d’être fabriqué en France. Où est finalement notre souveraineté ?

Le Mali ne veut plus de la France, elle se replie au Niger. Au Burkina Faso, les jeunes disent ne plus vouloir de la France. Ils demandent l’appui de la Russie pour venir à bout du terrorisme. Le sentiment anti-français est bien réel. Les raisons qui l’expliquent sont diverses.

Marie Laurentine Bayala, citoyenne burkinabè et collaboratrice du Village Opéra